Monday, February 23, 2009

L'année du bélier

Sans titre.
Le cinéaste David Cronenberg a-t-il définitivement prit le contrôle du cinéma américain sans le savoir ?
Deux films The Wrestler et L’Etrange histoire de Benjamin Button (Respectivement absent et quasi absent des récompenses des Oscars 2009) ouvrent de nouvelles perspectives quand aux rapports du Cinéma avec le Corps.
Si le sujet des deux films est bien le Temps, (sa fiction, son histoire) la nouveauté vient que celle-ci ne s’inscrit pas ailleurs que dans les corps humains. Une impudeur à nous les proposer comme ils sont, dans leur « monstruosité ». L’histoire du Cinéma est jalonnée de chefs d’œuvres sur ce sujet mais il n’est plus question de cinéma de genre d’où surgissait fréquemment l’idée d’une transformation/mutation des corps, creusant plutôt le sujet d’un rapport à la norme et au social. Ici, pas question de genre à proprement parlé, chacun de ces films est économiquement et artistiquement sur des échelles différentes. Leur statut de cinéaste « auteur » aussi est différent. (Darren Aronofsky entre par la grande porte « enfant surdoué » indépendant, David Fincher par la case « technicien » pour s’affirmer ensuite au sein d'Hollywood.). Le rapport à la technologie aussi diffère. Chez Benjamin Button l’idée même du corps est une abstraction nécessitant le recours au numérique, alors que The Wrestler n’utilisera que deux trucages, grammaire basique, presque liés aux origines du cinéma (Flash-back et arrêt sur image).
Trop souvent du reste, dans le cinéma de genre, l’explication (rationnelle ou non), l’idée de l’origine (l’enfantement) et le devenir de ce corps (la crise résolue) étaient mis en scène comme autant d’ultimes concessions au récit dominant. (Ceci dit dans ces deux films, la part faible apparait lorsqu’ils font des concessions, soit dans la représentation des rapports sociaux/raciaux, soit dans le récit tout court).
Ici la tâche est plus difficile, c’est le mouvement inversé du temps (L’origine étant la Fin et inversement) qui est la matrice du film, Benjamin Button « viendra au monde » en permanence, chaque combat, la salle de musculation et les médocs accoucheront régulièrement de Randy dans The Wrestler. (Sans oublier le corps de la stripteaseuse). Cela Est. Point.
D’ailleurs il est intéressant de voir aussi comment la fin des personnages est représentée: que faire du corps ? Comment se débarrasser du corps du délit ? (Et l’on sait que c’est le plus difficile). Image monstrueuse chez Benjamin Button qui viendra occuper le vide laissé par une image manquante (le décès en couches de sa mère) au début du film et l’écran laissé vide, comme suspendu, après avoir été traversé/transpercé une dernière fois par le Bélier, devenu légende, chez The Wrestler.
Leurs corps, Benjamin Button (Brad Pitt) et Randy « The Ram » (Mickey Rourke) sont tellement remplis de fictions (la petite et la grande Histoire, la légende) qu’ils semblent avoir fusionné avec l’Image (avec l’idée même de représentation), qu’ils ont absorbé le Cinéma dans son essence.
Ils peuvent disparaitre !
Il va falloir faire des films maintenant avec cette contamination !
Un cinéma ou Le Mot serait devenu Chair disait Cronenberg. Un cinéma mettant en scène la double idée d’un corps malade et d’un corps fusion, voilà. Surtout l’idée que le corps aspire, absorbe, toute idée même de fiction, toute fiction (y compris la part "documentaire" que The Wrestler contient).
Une part indicible, échappant au mot, à la parole, mais dont le Cinéma ne pourra jamais se passer. Numérique ou pas. Tel est l’enjeu.
Alors non, le cinéaste n’a pas prit le contrôle (et du reste il s’en fout et moi aussi), son cinéma, indirectement, à simplement contaminé un peu plus encore la Machine.

- L’Etrange histoire de Benjamin Button de David Fincher Usa 2008 164mn
- The Wrestler de Darren Aronofsky Usa 2008 105mn
(Par ailleurs, cela faisait longtemps que je n'avais pas vu dans un film américain un si grand réalisme (documentaire) dans la représentation du travail. Si courtes soient-elles, les séquences dans l'entrepot ou derrière l'étalage du traiteur, où Mickey Rourke travaille dans The Wrestler sont à rangées parmi les grands moments du film et du cinéma en général.)

No comments:

Post a Comment